Métiers du spectacle
Thierry Ascarez (Winamp) : « Quand une IA s’inspire de votre musique sans vous créditer, votre travail disparaît »
Pour les artistes, les droits musicaux peuvent sembler difficiles à appréhender. L'irruption de l'intelligence artificielle complexifie les choses. Thierry Ascarez, directeur du développement de la plateforme Winamp, apporte son éclairage.

Droits d'auteur, droits voisins, droits d'enregistrement, droits mécaniques… Pour les artistes musiciens, les questions juridiques peuvent relever du casse-tête. À cela s’ajoute une nouvelle donne : l’intelligence artificielle (IA) qui « s’inspire » de musiques préexistantes, sans créditer ni rémunérer les auteurs.
Dans ces conditions, comment protéger son travail et valoriser sa création ? Thierry Ascarez, directeur du développement chez Winamp, partage son analyse et ses conseils pratiques pour aider les artistes à reprendre la main.
La création musicale est aujourd’hui bouleversée par les outils d’intelligence artificielle. En quoi cela modifie-t-il le rapport des artistes à leurs œuvres et à leurs droits ?
Thierry Ascarez : L’IA est un outil incroyable. Elle peut assister les artistes pour créer une partition, un mix ou stocker des données. Ce qui est problématique, c’est l’IA qui produit des chansons sans intervention humaine. Or, ce type d’IA générative s’alimente très souvent de musiques existantes, créées par des humains. Se pose donc la question cruciale : comment les musiciens dont les œuvres ont été utilisées sont-ils rémunérés ? Aujourd'hui, le vide juridique laisse planer une incertitude profonde, en particulier pour les créateurs indépendants.
« Le premier risque, c’est l’invisibilisation »
Quels sont les risques concrets pour les musiciens aujourd’hui ?
T.A. : Le premier risque, c’est l’invisibilisation. Quand une IA s’inspire de votre musique sans vous créditer, votre travail disparaît dans la masse. Et vous n’êtes pas rémunéré. Le deuxième, c’est le détournement de revenus. Certains modèles d’IA sont déjà financés à coups de millions d’euros par des investisseurs, tout en s’appuyant sur des catalogues d’œuvres non déclarées. C’est pour cela que les plus grosses maisons de disques, qu’on appelle les majors, réagissent, en justice notamment. Mais les artistes indépendants, eux, n’ont pas toujours les moyens de se défendre. On leur demande parfois de se retirer de manière pro-active des bases de données utilisées par les IA, ce qui va à l'encontre de la logique du droit d'auteur.
Que recommandez-vous aux artistes en matière de droit ?
T.A. : Il n’existe pas un seul droit, mais une multitude : droits d’auteur, droits voisins, droits d’enregistrement, droits mécaniques... Et chacun varie selon les pays. En France, on passe par la SACEM, en Allemagne par la GEMA. Certaines œuvres se retrouvent revendiquées à 150 % parce que plusieurs ayants droit s’attribuent la même part. Il faut donc être extrêmement rigoureux, déclarer les co-auteurs, les pourcentages exacts, conserver les preuves. Sinon, les droits ne sont pas versés et l’argent reste sur des comptes dormants. On estime que des millions d'euros ne sont jamais réclamés chaque année.
« Une musique oubliée, c’est un droit non perçu. »
Que propose votre plateforme pour accompagner les artistes dans ce contexte ?
T.A. : Winamp for Creators est une plateforme conçue pour permettre aux musiciens de regagner du contrôle sur leur carrière. On y regroupe différents services : distribution de musique, gestion des droits (enregistrement, édition, mécaniques), vente de licences, fan zone… Notre ambition est de proposer une boîte à outils complète pour aider les artistes à mieux monétiser leur travail et comprendre où part leur argent. On veut leur redonner de l'autonomie dans un environnement dominé par quelques grandes plateformes.
Quels conseils donneriez-vous à un artiste qui souhaite se protéger face aux risques liés à l’IA générative ?
T.A. : La base, c’est l’organisation. Bien choisir ses outils de distribution, structurer les données de ses morceaux (métadonnées), signer des contrats clairs avec les co-auteurs… Ces bons réflexes permettent ensuite de prouver qu’une œuvre nous appartient. Il faut penser à bien s’entourer : un éditeur ou un manager peuvent énormément aider. Suivez les évolutions juridiques et techniques, même si elles sont complexes. Il ne faut pas hésiter à faire valoir ses droits, y compris sur les plateformes de streaming.
Peut-on réellement se protéger aujourd’hui contre l’utilisation non consentie d’une œuvre par une IA ?
T.A. : C’est difficile, mais pas impossible. Les majors ont les ressources pour agir. Les artistes indépendants, eux, doivent miser sur la traçabilité : bien documenter leurs œuvres, surveiller leur diffusion, et surtout ne pas hésiter à revendiquer leurs droits. Une musique oubliée, c’est un droit non perçu. Et l’argent non réclamé peut être redistribué ailleurs.